Quand la spéculation noie le marché
L’AVIS DE L’EXPERT : Patrick Masson, négociant de café au Havre.
La chasse aux spéculateurs est dans l’air du temps. Plusieurs marchés souffrent de la présence accrue des investisseurs. C’est vrai pour le pétrole, mais aussi pour le coton, le blé ou encore pour le café. Selon Patrick Masson de la Maison P. Jobin et Cie S.A.S Neumann Kaffee Gruppe, le poids excessif de la spéculation casse la fonction première des marchés à terme.
LE CONTEXTE: suite à la crise financière, la régulation des marchés est aujourd'hui dans l'air du temps. Outre le pétrole, beaucoup de produits agricoles souffrent de la présence excessive des investisseurs sur les marchés à terme où les opérateurs sont censés couvrir leur risque de variation de prix.
L'AVIS DE L'EXPERT:
A l’origine les marchés à terme de matières premières ont été inventés pour organiser les échanges de produits de façon plus rationnelle. Les ancêtres de ces outils financiers étaient les foires puis les bourses de commerce.
Assez vite les intervenants du commerce de ces produits se sont rendu compte que les formes d’échanges pratiquées dans le cadre des foires ou des bourses de commerce permettaient de satisfaire aux nécessitées de l’échange immédiat mais n’apportait aucune aide a la pratique de l’échange différé. C’est pourquoi les opérateurs ont imaginé de proposer l’utilisation d’outils plus performants et mieux adaptés aux exigences de l’échange à terme, autrement dit de l’échange dans le futur dont les conditions seraient définies irrévocablement. Les marchés à terme sont nés et si leur but initial étaient d’assurer une sécurité des transactions entre opérateurs désireux d’acheter ou de vendre dans le futur ; notamment des « matières premières » leur domaine d’application s’est étendu à tous les types de biens y compris les instruments financiers et les notions financières comme les marchés d’indices.
Le développement de ces marchés a été exponentiel au cours des années 1990 et s’est étendu à tous les domaines de la vie économique puisque celle-ci est maintenant régie par la finance.
Cependant les transactions sur les marchés de matières premières n’ont pas diminué pour autant, au contraire elles se sont accrues et leur nombre a suivi l’évolution des transactions financières de tous les domaines de la vie économique.
Ainsi ces outils de régulation se sont transformés en des moyens pour la spéculation d’exercer ses « talents d’anticipation ». Ce qui n’est pas en soi condamnable sauf si la spéculation devient tellement puissante que ses « anticipations » finissent par déterminer les prix en des prophéties auto-réalisatrices.
L’exemple le plus connu est celui de l’évolution des prix du pétrole en 2008, les cours ont bondi à 150$ le baril et les « experts » affirmaient sans hésiter que rien ne pouvait empêcher qu’ils atteignent 200$. La raison de cette hausse résidait en une évidente pénurie qui ne pourrait disparaître avant longtemps. Quelques mois plus tard, nous étions revenus à moins de 40 soit cinq fois moins que les expertes prédictions.
Si le pétrole est bien connu du grand public les autres produits le sont moins, les quelques courbes de prix qui suivent démontrent que peu importe le support les spéculateurs ont décidé que les prix des matières premières devaient monter, ils les ont acheté sur les marchés à terme et la force de leur intervention fut telle que l’ensemble des prix a effectivement progressé fortement.
1 Evolution des cours du café robusta de Nov 2007 à Mars 2008 |
2 Cours du sucre de Novembre 2007 à Mars 2008
3 Cours du platine Octobre 2007- Mars 2008
Ces trois exemples démontrent que les évolutions de cours pour ces trois produits sont identiques alors que la situation fondamentale n’était pas obligatoirement la même. En ce qui concerne le café aucun facteur relatif à la production et à la consommation n’était de nature à justifier un tel mouvement. Seuls les décisions des fonds financiers ont permis d’expliquer ce phénomène : les prix des matières premières et les produits agricoles vont monter disaient-ils, ils ont acheté et comme ils achètent beaucoup ils ont raison puisque leurs achats sont suffisamment importants pour engendrer une pénurie artificielle.
Ce type de fluctuation, est relativement récent, dans le passé, pour le café notamment, la spéculation était capable d’amplifier les mouvements lorsqu’ils avaient trouvé leur origine en une raison fondamentale comme des gelées au Brésil ou des problèmes politiques dans un pays producteur. A présent la spéculation financière provoque ces mouvements ex nihilo.
De plus la masse de liquidités financières en circulation et en recherche de placement est si considérable que le désintérêt pour tel type d’actif peut entraîner une ruée vers tel autre.
Illustration :
Ainsi le reflux des cours des valeurs mobilières est simultanément accompagné par un afflux massif sur les matières premières sans que cela ne soit justifié par une quelconque pénurie autre que celle engendrée par la décision « d’investir » des financiers.
Il faut bien placer ses liquidités !
Le placement était-il judicieux ?
5 Indice CRB des matières premières Mai2008-Octobre 2008
La courbe des prix apporte la réponse, il valait mieux éviter de suivre ces spéculateurs éclairés.
L’offre et la demande n’ont plus grande influence, la soi-disant régulation des cours et des stocks n’est plus qu’un lointain souvenir, les liquidités pléthoriques et leur soif de rentabilité rapide ont réussi à détruire les fonctions de régulation des marchés financiers.
D’un instrument de protection ils sont devenus un facteur d’accroissement des risques.
La puissance de la finance a été prépondérante et elle finit par s’autodétruire !
En quelques mots
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2 Comments
Je ne suis pas une spécialiste mais je suis d'accord avec vous.Je subis la spéculation car je suis éleveuse de volailles et que j'achète l'aliment .Fin 2007,suite à des stocks bas et aussi et surtout à l'action des spéculateurs, les cours des céréales et des protéagineux se sont envolés,été 2008 de nouveau
il y a eu envolée sur les protéines.Ceci au niveau mondial et parce que les spéculateurs ne pouvant plus être sur les marchés immobiliers se sont rabattus sur les matières premières y compris agricoles.La pénurie agricole est aussi due aux biocarburants.
J'ai trouvé un site pour spéculateurs ou ils le disent clairement les matières premières c'est l'eldorado du 21e siècle.
Ils le font d'autant plus facilement que les mécanismes de contrôle des stocks par exemple européens ont été démantelé au nom de la pseudo libre circulation des produits.Moi je dis :la spéculation est une atteinte à la libre circulation des produits surtout pour les matières premières qui deviennent rares.C'est une atteinte au droit des peuples de disposer de biens de première néssecité.
Les spéculateurs ont créé une crise sans précédent et on les laisse continuer.
Devant les problèmes climatiques qui vont s'amplifier et la raréfaction des matières premières la spéculation sur ces matières doit être interdite.
Encore faut-il que les dirigeants des pays européens et mondiaux veuillent défendre leurs pays plutôt que le bonus des spéculateurs.Peut-être en profitent-ils personnellement quelque peu...
En tout cas pour en revenir à l'aliment de mes poules
il avait augmenté de 39% et n'a rebaissé que de 3 %
J'ai des scrupules(je sais c'est has been) je n'ai pas osé augmenté mes prix en proportion.Je perds donc de l'argent à cause non de la crise mais de l'appétit des spéculateurs et de leur compères.
Des mécanismes existaient au niveau agricoles européens il suffit de les remettre en place.Il suffit que nos gouvernants le veuillent...
je suis d'accord qu'il faut désormais inclure le poids de l'investissement financier dans la formation des prix, mais la plupart des intervenants ainsi que les chercheurs ne partage pas votre avis (ie que le mouvement de fond vient des investisseurs).
personnellement, je vois toujours les fondamentaux de marché qui dirigent les prix en premier lieu suivi (ou amplifié) par les flux d'investisseurs.
l'illustration du cac vs crb ne temoigne d'ailleur pas d'une compréhension économique très poussée, car ce scénario (actions en baisse, commodities en hausse) est très typique pour un fin de cycle.
l'auteur donne des exemples de matières premières agricoles.. comme le sucre ou le café:
le sucre qui est en ce moment tiré par les problèmes d'offre en inde a progressé de 55% cette année pdt que le S&P 500 à fait % à peine... il y a des matières premières qui me semblent plus impacté par la spéculation (or), mais de généraliser comme fait dans ce poste, je trouve cela assez dangereux...