L'Inde, un exportateur de riz pas toujours très responsable?

L'AVIS DE L'EXPERT: Patricio Mendez del Villar, chercheur au Cirad.

Une fois de plus l'Inde, producteur et exportateur de premier rang sur le marché du riz, fait planer le risque d'un emballement des cours. Cette année ce sont ses importations imprévues qui font monter la pression. L'année dernière on lui a reproché d'avoir limité ses exportations. Une attitude très critiquée par le négoce. Patricio Mendez del Villar, un expert indépendant, chercheur au Cirad nuance tout en soulignant qu'il est nécessaire de discuter des responsabilités des grands exportateurs, et de l'Inde en particulier. 

 

Le souci de l'Inde, comme celui de la plupart des pays producteurs, consommateurs et exportateurs est d'assurer sa propre sécurité alimentaire. C'est tout à fait légitime. Le contraire serait bien davantage de nature à débats et controverses. Imaginer un pays qui privilégierait ses exportations à la place de nourrir sa propre population ! Faut-il pour autant minimiser les engagements, et je dirais presque les "devoirs", des pays exportateurs vis à vis des pays importateurs, et les plus démunis d'autre eux ? C'est une question qui à mon sens n'a pas été assez débattue durant la crise de 2008 lorsque l'ensemble des exportateurs de riz ont limité volontairement les exportations, non pas parce qu'ils manquaient de riz à ce moment là, mais plutôt parce qu’ils cherchaient à se prémunir d'éventuels effets inflationnistes et spéculatifs sur cette denrée alimentaire de base.

Il faut bien voir que le paradigme du rôle du commerce international comme voie privilégiée de lutte contre l’insécurité alimentaire, a bien été mis à mal durant la crise des prix mondiaux 2008 qui, à mon sens, a révélé une crise de confiance dans la capacité des marchés internationaux  à répondre durablement aux besoins alimentaires des régions déficitaires.
 

L'Inde a-t-elle eu raison de limiter depuis 2 ans ses exportations de riz ? (non parfumé je précise car elle continue toujours à exporter du riz type Basmati à hauteur de 1,5 millions de tonnes par an). Au vu de la récolte catastrophique qu'elle a connu en 2009, à cause du manque de pluies, oui c'est une chance qu'elle ait conservé ses stocks de sécurité (et une chance pour ces concurrents qui ont su profiter de ce retrait du marché à l’export). Mais, il ne faut pas oublier que les prévisions (et les déclarations officielles de l’Inde) encore au début de l’été 2009 étaient d’une bonne récolte, de l’existence de stocks de riz pléthoriques, et d’excédents d’exportation de 6 à 7 millions de tonnes ( !) sur un marché mondial de 30 millions de tonnes échangées annuellement.

On craignait alors un retour fracassant des exportations indiennes sur la scène internationale et le risque d’un effondrement des cours mondiaux. Etait-ce mieux ? Pour les pays structurellement dépendants des importations, oui certainement. Beaucoup moins sûr pour les pays qui suite à la flambée des prix en 2008 ont engagé une politique d’accroissement ou de relance de la production nationale. Pour eux, c’était à coup sûr un retour aux importations de riz pas cher… On le voit, la meilleure option (ou la moins mauvaise) est certainement entre les deux. Et une voie: la régulation des marchés, par des stocks nationaux, régionaux et internationaux, pour stabiliser les cours mondiaux ! Comment ? Qui ? Vaste programme !

Enfin, ne condamnons  pas trop vite les marchés internationaux. Lorsqu’on observe les évolutions des prix à long terme, on voit des grandes périodes de stabilité par rapport aux fluctuations que connaissent de nombreux pays sur leurs marchés nationaux, et notamment en Afrique Subsaharienne où les Etats n’ont pas eu jusqu’à présent les moyens ou la capacité de mettre en place une politique de stocks régulateurs sur le plan régional.

1 Comments

L'Inde, tout comme les autres pays exportateurs d'ailleurs, ne se soucie pas de l'impact des hausses des cours du riz en Afrique. On n'est pas élu en Inde parce que l'on aide des africains à se nourrir à un prix abordable.

Par contre, il est très clair pour les asiatiques que la denrée de base de la majeure partie d'une population donnée ne peut demeurer un produit régulé par les marchés uniquement. C'est un produit bien trop "sensible" politiquement et socialement. Il en va de même en Afrique. Il est temps que les autorités des pays africains soutiennent réellement la production locale et régulent intelligemment les marchés de biens de première necessité. Malheureusement et bien top souvent, la régulation, devenant monopole d'état, entraîne toutes les dérives que ce genre de situation génère (remember les CAISTAB et les caisses de péréquation ?).Je ne vais pas épiloguer sur ce point. Mais peut être serait-ce pire si elles se mettaient à réguler le marché. Il vaudrait mieux le soutenir tout simplement et encourager l'investissement dans le secteur agro-alimentaire. Mais je ne crois pas que les dirigeants africains soient les seuls à avoir droit de parole et soient les seuls à prendre toutes les décisions.

En ce moment l'Asie n'a pas réellement besoin de l'Afrique en qualité de client majeur. Elle représentait 30 à 35% des importations mondiales en 2007. Que représente-t-elle aujourd'hui ?

Nous pourrions discuter sans plus finir des "petits et grands arrangements" entre nations exportatrices et importatrices dans le Sud Est Asiatique. Nous pourrions discuter longuement également des manoeuvres politiques thaïlandaises pour faire monter les cours à des niveaux équivalents au double du cours moyen pour l'année 2007 et ceci malgré un énorme excédent (+/- 1 an de surplus) sous contrôle gouvernemental.

Je crois que la question principale porte sur la privatisation accélérée de touts les secteurs économiques, l'alimentaire de base inclus, et ses conséquences sur les pays importateurs, et pauvres de surcroît. Elles sont désastreuses et permettent à l'Asie de s'enrichir sur le dos de l'Afrique. Ce qui arrangent en réalité les U.S.A. et l'Europe également.
Exemple:
1) la pauvreté croissante de la population fait une main d'oeuvre bon marché pour les sociétés internationales (mines, puits de pétrole etc...) présentes en Afrique et la malnutrition permet de garder sous contrôle une population servile, dont la survie ne tient plus qu'à un fil (le vôtre). Elle alimente même les réseaux de travail de nuit clandestin à la RATP (à Paris) si l'on en croit un reportage passé à la tv française récemment.
2) une population pauvre est souvent sous éduquée et mal informée, voire pas du tout: elle n'a pas accès à la technologie et cultive la terre avec les moyens du bord (ce qui veut dire rendements en dessous de ce qu'il serait possible d'atteindre avec des procédés et des équipements modernes).
3) La Chine achète des terres agricoles à bas prix, ce qui lui permet d'assurer sa sécurité alimentaire en plus d'assurer un écoulement supplémentaire stratégique à son excédent de dollars. Les U.S.A. contiuent à produire du dollar qui est ensuite recyclé par la Chine. La Chine continue de produire à bas coûts des produits qui se vendront facilement sur les marché U.S. et U.E. car peu chers. Si la chorégraphie de ce ballet est bien assurée, cela permettra à la Chine de prendre graduellement le contrôle de territoires de plus en plus importants en Afrique et permettra aux U.S.A. de ne pas s'effondrer sur eux mêmes, ce qui serait une catastrophe pour la Chine et pour le monde civilisé en général. Là on pourrait débattre en long et en large, car il s'agit ici du sujet géopolitique principal des années à venir. La crise alimentaire n'en est qu'une des pièces du puzzle. A quand les fusions entre entreprises multinationales sino-americano-européennes ?
4) La perturbation et la dérègulation des marchés crée de la volatilité, et la volatilité génère des pertes et des profits. Suffit d'être du côté du profit et de tout mettre en oeuvre pour être de ce côté. Les mutinationales, leur réseaux et leur lobbies etc... ont les moyens d'être du bon côté. (Et pour les cas extrêmes suffit d'appliquer le"Too big to fail" et envoyer un memo aux gouvernements concernés leur démontrant que s'ils venaient à disparaître, tout le système saute ... )

L'Afrique sera de nouveau à l'ordre du jour, lorsque les excédents des pays producteurs seront un peu trop considérables et qu'il faudra leur vendre un peu de riz pour limiter l'offre et entraver une chute trop importante des cours. Ce jour là, les gouvernements puiseront l'argent du contribuable pour subsidier, si nécessaire, les exportations des multinationales agro-alimentaires, qu'elles soient chinoises, thailandaises, américaines etc... Ce jour là on verra peut être à nouveau quelques ministres porter des sacs de riz sur les plages...