une école française pour sortir de la malédiction des matières premières

L'AVIS DE L'EXPERT: la crise est trompeuse, le boum des activités minières est suspendu mais pas encore remis en cause. Demain la pénurie de main d'oeuvre qualifiée dans ce secteur pourrait compliquer son développement.  Jacques Varet du Bureau de Recherches Géologiques et Minières  explique l'intérêt  d'ouvrir en France une nouvelle école pour former des cadres de haut niveau dans le secteur des géosciences. Une école qui s'adresse aussi aux candidats étrangers.

Tribune libre.

 

           La longue période de marasme qu’ont connu les marchés des matières premières à la fin du XXième siècle, a eu pour conséquence une perte de prise en considération de ce secteur par les politiques comme par le secteur public.

          En matière d’emplois, cette longue période déprimée s’est traduite par une récession de plus de 20 ans dans l’ensemble des métiers des géosciences, jusqu’alors tournés vers l’industrie extractive. Les écoles des mines ont fermé dans les pays anglo-saxons, ou se sont tournées vers d’autres métiers. En France, la demande environnementale -sols pollués, eau souterraine, risques naturels- et d’aménagement ainsi que la recherche fondamentale a assuré un certain relais et permis de préserver des filières de formation universitaires. Quoi qu’il en soit, les systèmes d’enseignement supérieur – qu’il s’agisse des écoles d’ingénieurs ou des universités – se sont, pour la majorité d’entre elles, détournés des formations à finalité extractives.

déficit de personnel à venir

          Il résulte néanmoins des fortes embauches dans les années 70 à 90 que les profils démographiques dans les métiers des géosciences (qu’il s’agisse des entreprises ou des services publics) se caractérisent aujourd’hui par une forte représentation des fins de carrières et un déficit de personnels en début et surtout mi-carrière. De ce fait, un grand nombre de départs est attendu dans les 20 à 30 prochaines années, qu’il faudra compenser par des recrutements en nombre aussi bien dans les entreprises que dans les services publics. Et il faudra être en mesure d’accélérer l’accès de jeunes ingénieurs et géologues brillants à des positions de responsabilité libérées par les départs et stimulées par de nouvelles demandes de plus en plus complexes.

          On pourrait objecter que l’industrie minière se prépare à traverser de nouvelles épreuves du fait de la crise financière actuelle. Mais la plupart des analystes confirment la lourde tendance, concernant les matières premières minérales et énergétiques, qui résulte d’un cycle long caractérisé par une tension physique de moyen terme entre offre et demande sans lien avec la crise monétaire.

          La mise en œuvre des politiques de développement durable et de lutte contre le changement climatique induisent par ailleurs l’émergence d’une forte demande portant sur l’ensemble des métiers des géosciences, dont plusieurs spécialités tout à fait nouvelles ou renouvelées par les recherches et développements technologiques comme le stockage géologique du CO2, la géothermie, ou encore la prévention des risques géologiques.

          Le BRGM constitue incontestablement un pôle de référence reconnu au niveau mondial et la plus forte concentration en France de spécialistes en matière de recherche et d’expertise dans ces domaines des géosciences. C’est sa vocation naturelle d’accueillir dans ses murs à Orléans une nouvelle école créée pour pallier la pénurie de cadres du secteur. L’Ecole Nationale d’Application des Géosciences (ENAG) ouvrira ses portes à la rentrée prochaine. Elle s’adresse à des étudiants de  niveau bac+5. A l’issue d’un cursus de dix-huit mois, ils recevront un diplôme correspondant à un mastère de spécialité.

une école pour les cadres africains

          L’ENAG couvrira une partie importante des applications des sciences de la Terre : ressources minérales dans un premier temps, puis géothermie, stockage du CO2 quand elle aura trouvé son rythme de croisière. Il est prévu également une filière de formation des cadres des services géologiques nationaux. Elle formera des spécialistes en géosciences appliquées de haut niveau, français et étrangers.

          L’Afrique, qui recèle un potentiel minéral certain, n’en est qu’au début de son essor. Pour assurer son développement durable, l’Europe dispose à son égard de responsabilités particulières, autant historiques que politiques actuelles –notamment avec les pays ACP, ou prospectives -conséquences humaines du changement climatique, migration. Il faut sortir du syndrome de « la malédiction des matières premières » qui n’a rien de fatal et tient largement au manque de cadres de haut niveau dans les services publics. Il est donc stratégique, comme viennent de le souligner la Commission Européenne[1], le Centre d’Analyse Stratégique[2] et le Ministère des Affaires Etrangères[3], de développer un partenariat entre l’Europe et les pays ACP permettant à ces derniers de bénéficier d’un développement économique et social respectueux de la qualité des milieux naturels et culturels.

          Pour mener à bien une telle politique, et répondre aux besoins tant du marché mondial pour les entreprises que des services publics nationaux, il est nécessaire de relancer en Europe et plus particulièrement en France une vigoureuse politique de formation dans le domaine des géosciences touchant autant des étudiants et jeunes professionnels français qu’étrangers. Il est par exemple urgent de consolider les capacités des services géologiques et miniers nationaux pour qu’ils soient prêts à négocier avec des entreprises de plus en plus puissantes. C’est pour répondre à ce genre de besoin impérieux que le BRGM ouvre l’Ecole Nationale d’Application des Géosciences.

Jacques Varet, directeur de la Prospective au BRGM. 

Pour tout contact, renseignements, inscriptions : enag@brgm.fr

 
 


 

[1] Stratégie européenne des ressources minérales non énergétiques…., décembre 2008

[2] Rapport du groupe « ressources rares », prospective 2025…., décembre 2008

[3] Rapport DGCID…, octobre 2008

 

2 Comments

L'implication du BRGM dans une nouvelle école présente de nombreux avantages, au plan national et international. Au plan national, c'est l'occasion d'impliquer directement les 700 scientifiques - chercheurs et ingénieurs - du BRGM dans le dispositif national de formation supérieure, car l'ENAG ne se limite pas au mastère de spécialité orléanais, mais pilotera les participations des agents du brgm dans toutes les universités et écoles, ainsi que les politiques des stages et thèses de tous les étudiants au brgm.

En outre, faire d'orléans une place de renom international pour la formation supérieure en géosciences, et pas seulement en recherche comme elle l'est aujourd'ui (avec l'enag du brgm, l'osuc et polytech orléans du cnrs et de l'université) constitue aussi un enjeu de taille pour notre pays.

En effet, c'est bien du renom international des géosciences françaises que nous comptons hisser au meilleur niveau pour préparer une réponse forte, à la hauteur des enjeux de demain : il n'y a pas que le peak oil à résoudre (ce n'est pas mince), mais aussi l'enjeu des autres ressouces minérales, ainsi que ceux de l'environnement et du climat, et encore plus urgent de l'équité du développement pour sortir de "la malédiction des matières premières".

Bref, nous voulons préparer une nouvelle génération en mesure de répondre aux enjeux du développement durable considéré aussi dans sa dimension géologique!

Pourquoi ouvrir une nouvelle école quand il existe en France un certain nombre d' "Ecole des Mines" (Paris, Nancy, Ales...) et au moins une (à ma conaissance) école de géologie (ENSG).

Pourquoi créer une nouvelle école plutôt que de réorienter ces écoles vers leurs missions d'origine?